Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
La Sancha au sang chaud

Un dégueuloir mais sans trop de mauvaises odeurs, je suis trop polie pour ça !

DES MAINS DOUCES ET EXPERTES

L'hôtellerie est des plus correctes, foin à volonté, stalle individuelle, litière changée tous les jours. Je n'ai de ma courte vie rien connu de tel. Je pense donc enfin couler des jours paisibles, jusqu'à ce que….

- Résidu de fœtus… C'est ce que le cheval d'un sergent, fraîchement bouchonné, allant à l'exercice, hennit devant ma stalle. J'ai cru ne pas avoir bien entendu malgré mes grandes oreilles quand un poulain qui suit sa mère au pré surenchérit : Nabot dégénéré. Au fur et à mesure que les montures de la Guardia Civile quittent les lieux, j'ai le droit à mon lot d'insultes racistes.

Restant le seul âne, les autres ayant déserté l'écurie, je ne mets pas trop longtemps à comprendre que tous ses montures si supérieures s'adressent à moi. Je me rencogne dans le coin le plus sombre pour essayer de passer inaperçu. Il en reste cinq encore à passer devant moi. Je tends l'échine. Comme il est prévisible, les quatre premiers produisent les mêmes remarques aussi désobligeantes que leurs prédécesseurs, quant au cinquième, affublé d’œillères il trace la route ignorant tout de sa périphérie.

Je me demande si mes congénères à demeure subissent le même sort. J'ai bien peur que oui.

Seuls Rossinante et moi sommes assignés à résidence. Je l'entends s'ébrouer au fond de l'écurie.

Le répit, tout au moins en ce qui me concerne est de courte durée.Dans mon champs de vision surgissent quatre gaillards dont l'uniforme cache à peine les conséquences d'une mode qui veut qu'à défaut d'une tête bien entraînée, l'homme sculpte son corps. Leurs blousons sont tendus par leurs muscles bodybuildés. Ils ont pour consigne de m'emmener et moi qui veux absolument assister au spectacle d'une rupture de couture au niveau des biceps, je me carre solidement sur mes quatre sabots pour résister. Ils poussent, tirent et éructent. La gonflette ne prépare pas vraiment à se confronter à l'entêtement d'un âne. Je triomphe quand j'entends le bruit caractéristique du déchirement d'un tissu mais ce n'est pas une manche qui craque, c'est mieux , c'est un pantalon. Encore plus jouissif. Le bout du slip entraperçu me fait lâcher pour un moment du lest. Je les suis bien sagement jusqu'au van attelé à un quatre-quatre qui m'attend. Je ne me fais pas prier pour en franchir le seuil. Moi, les voyages, ça m'a toujours botté surtout quand je n'use pas la corne de mes sabots. J'aurais bien voulu voir défiler le paysage mais la remorque, conçue pour des chevaux, comporte deux hublots ovoïdes trop hauts pour mon regard. Hisser mes sabots antérieurs contre la paroi s'avère être un exercice trop périlleux du fait des cahots.

Avant même qu'ils me délivrent, Mes oreilles identifient l'intensification du brouhaha. Quant à mes naseaux, ils sont submergés de vapeurs de carburants de toutes sortes qui m'obligent par trois fois à éternuer. Nous sommes en ville, pas une petite bourgade mais une ville importante. Et là je dis non. La ville je déteste. La raideur de mes pattes sur l'asphalte provoque des vibrations via mon tibia et mon péroné qui très vite endolorissent toutes mes articulations. Le vrombissements des voitures qui me doublent en provoquant un déplacement d'air me glacent les flancs et m'assourdissent. Sancho a eu bien du mal à refréner ma panique quand il s'est agit d'aller de la gare Montparnasse à Pigalle. Pareil pour le périple inverse.

C'est donc très réticent que je consens à quitter le véhicule. Ce dernier est immobilisé en double file dans une rue étroite. S'ensuit un concert de Klaxons qui me vrille le tympan. Un des gardes civiles brandit à la cantonade sa plaque pour faire taire les récalcitrants. Les protestations sonores s'arrêtent.

Heureusement, je n'ai que quelques pas à faire, je le déplore, la station debout, mise à mal par les aspérités d'un bitume parfois creusé par les ans ont vermoulu mes quatre pattes pendant le transfert. J'en suis réduit à tituber et à trébucher sur l'unique marche qui me mène à l'intérieur d'une boutique. Et là mes yeux s'écarquillent devant le spectacle que je découvre. Il n'y a pas qu'une seule dulcinée, la fameuse dont j'ai ouî dire qu'elle affole le maître de mon maître mais une demi-douzaine de créatures qui, si j'étais humain, réveillerait des appétits tout simplement lubriques. Une crinière peroxydée par ci, une cascade de cheveux noirs de jais par là, une cuisse avantageuse émergeant d'une robe fendue, une micro mini-jupe tangentielle à un tanga. J'hallucine de toutes ces beautés en un si petit espace. Je n'ose respirer quand l'une d'elle, la spécialiste de la coloration, un décolleté vertigineux saillant de sa blouse rose , vient me caresser le pelage.

- A priori, il a été teint, s'enhardit-elle à affirmer du bout de la langue devant des représentants de l'ordre qui l'intimident, ces tâches bleus sur son ventre ne me semblent pas être naturels. Chez les humains, les cheveux poussent et dévoilent leur vraie couleur, chez certains animaux dont le poil est ras, il faut attendre que les plus vieux tombent pour voir réapparaître la robe d'origine. Il semblerait que ce soit le cas de cet âne. Néanmoins, selon la teinte du pelage d'origine, la teinture prendra des nuances différentes. A votre question, a-t-il un cœur blanc sur le poitrail, je ne peut qu'affirmer qu'il a effectivement des poils plus clairs en forme de cœur, légèrement plus gris que le reste de son corps.

... Ce qu'il est chou… J'adore les ânes ! conclut cette Brutus qui vient de m'enfoncer une des lames de ces ciseaux à égaliser les mèches en plein dans ce cœur que Sancho voulait cacher à tout prix.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article