La Fontaine, promis, je ne boirai plus que ton vin.

??? Qu'est-ce que shakespeare a avoir dans cette galère ?

- Le meilleur oserais-je dire...La réhabilitation du rôle de mon maître, Sancho, bien moins débile que dans l'original et surtout moi qui ne suis plus l'animal aussi insignifiant que l'a voulu Cervantès. En me rendant mes lettres de noblesse, le grand William a permis mon élargissement en compagnie de Sancho. Nous avons franchi les murs inviolables de l'imprimé.

-...Mais...mais quelle est cette œuvre de Shakespeare dont je n'ai pas entendu parler…

- Il est vrai, vous les humains, vous ne pouvez qu'ignorer qu'elle existe. On est sûr qu'elle a été écrite, par contre,le manuscrit a disparu, reste introuvable. Il a pour nom Cardenio.

Et tu sais la meilleure, le vingt-trois avril 2016, la Grande Bretagne et l'Espagne commémoreront le quatre-centième anniversaire de la mort de leur gloire nationale respective. Mais aucun d'eux n'est mort à cette date, Cervantès ayant quitté ce monde la veille et William à la bonne date mais pas dans le même calendrier. Il y a en fait dix jours entre leur deux disparitions. C'est un détail de l'histoire n'est-ce pas sauf que les commémorations auront lieu le même jour et que je ne peux rendre hommage à mes deux papas. C'est pas parce que je suis un animal fictif incarné que j'ai pour autant le don d'ubiquité. Un avertissement à moindre frais aux auteurs de romans fantastiques qui usent de ce genre de subterfuge pour simplifier leur histoire. En ce qui me concerne, je ne peux toujours pas être au four et aux moulins.

Je n'ai pas entendu ses derniers commentaires. Affalée, la tête entre les mains les coudes rivés à mes cuisses, je phosphore tous azimuts, bombardement d'électricité dans des parties improbables de mon cerveau, cour circuit des neurones de mon cartésianisme mis en échec. Il me faut un temps qui me paraît être une éternité pour mener à bien une réflexion que je qualifie de surréaliste. Afin de remettre un peu d'ordre dans cette anarchie synaptique, j'en appelle à tout ce que je sais de la poésie: La fontaine, Verhaeren, Prévert...La liste que j'espérais longue s'arrête là et je me maudis d'avoir pris cet art par dessus la jambe, moi la scientifique revendiquée.

Je ne sais si cette incantation réveille une partie de mon cerveau en léthargie, toujours est-il que j'entrevois clairement la situation.

J'ai sur les bras un âne fait de chair et d'os dont la race a disparue depuis trois cents ans qui s'est échappé tout droit d'un remake de Cervantès par William Shakespeare himself et tout ça sur fond d'attentats terroristes à Paris

Un affreux roquet m'attends qui à chaque fois que j'essaie de le soigner essaie de me mordre. D'habitude, j'y vais à reculons.

La propriétaire du monstre a un instant de recul quand je l'invite, avec une affabilité dont elle n'est pas coutumière à me suivre dans la salle d'examen. Devant mon air absent, le petit mordeur impénitent en oublie son agressivité. Tout se passe le mieux du monde. Mon absence de disponibilité est peut-être passé à côté d'un diagnostic grave, j'en doute, la maîtresse du sale gosse l'apportant dès qu'il a un pet de travers, il est mieux suivi sur le plan médical que l'immense majorité des hommes.

Cet intermède m'a permis de prendre une décision.

J'appelle le conducteur de travaux, accessoirement conducteur d'âne :

J'en arrive droit au but. Vous le voulez ? Pour son bien, pour le mien et pour le votre, il faut que vous le voliez.

Je ne peux vous en dire plus… La meilleure solution c'est qu'il disparaisse dans l'immédiat. Il est évident que je vous faciliterai la tâche mais il faudra quand même que vous fracturiez la porte du bâtiment où il réside. Prévoyez un endroit sûr. Un tel âne va déclencher une méga-enquête.