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La Sancha au sang chaud

Un dégueuloir mais sans trop de mauvaises odeurs, je suis trop polie pour ça !

Un braiment s'enraie d'émotion

As-tu conscience du lieu où tu te trouves ?

-… ???

- Si l'âne pouvait se vanter de n'avoir qu'un seul ami, sache que tu foules sa propriété. S'il était encore vivant, il t'aurais fait fête. Malgré son immense dénuement, il aurait veillé à ce que tu ne manques de rien, que tu sois traité comme un prince. Mais je m'égare, mon équipe m'appelle, repose-toi, à midi je viendrai te chercher et je te le présenterai.

Rassuré, je peux enfin m'abîmer dans un profond sommeil, surpris d'être épargné par des cauchemars que j'imaginais être en embuscade dès que je me laisserai aller. Le boucan que génère le chantier écorne à peine mon endormissement. Et dans mes rêves, je perçois de nouveau l'incongruité de l'irruption de ses éclairs de lumière intempestifs suivis de ce qu'il me semble être des éclats de voix.

A midi comme promis, je compte dans ma tête les douze coups de la cloche de l'église, moi qui ne sais pas compter, l'homme débarrassé de ses oripeaux de travailleur de force m’attrape par le licol et me traîne à travers les rues d'une petite ville aux maisons proprettes, toutes blanches aux volets rouges ou verts, plus ou moins cossues, se serrant les unes contre les autres, accueillant en leur sein au rez-de-chaussées pour certaines d'entre elles des devantures de boutiques. Mal réveillé, mes sabots heurtent souvent les pavés mal jointoyés, j'ai l'intuition d'aller à la rencontre d'un moment unique. Quel n'est pas ma déception quand nous franchissons les portes d'un cimetière.

Les cimetières...pouah ! Presque un traumatisme ! Une corvée obligée quand on venait quémander à mon maître ma location pour un enterrement et qu'atteler à un corbillard bien trop volumineux pour moi, celui-ci étant conçu pour la traction par un cheval, voire deux, voire quatre, je me voyais ahaner pour transporter le corps vers sa dernière demeure après un faux-plat montant qui n'en finissait pas. Je me consolais en pensant que les pauvres pouvaient ainsi sauver les apparences par mon labeur car les riches eux pouvaient se payer les services de chevaux à l'allure plus adéquate aux circonstances.

Alors un cimetière !

L'homme use de toute sa persuasion pour m'en faire franchir le seuil et sans hésiter me guide vers une tombe qui, ma foi ne paie pas de mine.

Pourtant je le vois s'abandonner un long moment, yeux fermés, en une méditation qui s'achève quand sa main chasse la larme qui perle sur sa joue.

Il se tourne vers moi. Un moment, j'ai cru qu'il m'avait oublié.

Voilà l'homme, me dit-il qui veut accéder à ton paradis.

Mon regard passe de la pierre tombale à mon Cicéron, regard vidé par une incompréhension telle que sa substance s'est réfugiée dans mes lobes cérébraux qui phosphorent à si vive allure que j'ai du mal à les suivre. Comment un humain peut-il ne serait-ce qu'envisager se perdre dans un endroit auquel je ne peux pas croire, parce qu'un animal ne croit en rien, cela se saurait sinon !

…. Je prendrai mon bâton et sur la grande route

J'irai et je dirai aux ânes mes amis

Je suis Francis Jammes et je vais au paradis,

Car il n'y a pas d'enfer au pays du bon Dieu.

Je leur dirai : doux amis du ciel bleu,

Pauvres bêtes chéris qui, d'un brusque mouvement d'oreilles

Chassez les mouches plates, les coups et les abeilles…

Que je vous apparaîsse au milieu de ces bêtes

que j'aime tant parce qu'elles baissent la tête…

Je dois bien l'avouer, au début, je n'ai rein compris à ce qu'il baragouine. Son ton presque langoureux me semble anormalement ralenti et moi l'âne espagnol qui saisit la moindre nuance d'une langue qui tire plus vite que son ombre bute sur la compréhension d'un propos qui se donne le temps. Quand, par miracle, mes oreilles se mettent au diapason du lyrisme de mon compagnon. Est-ce parce que je vibre au rythme des vers, est-ce par fierté de voir ma race mis enfin en valeur, je cache mon émotion en tournant le dos à la tombe et au laudateur Peine perdu, son thuriféraire me fait de nouveau face et de peur qu'il devine mes pensées., je garde les yeux clos emprisonnant la première larme qui de mémoire d'âne n'a jamais pu perlé d'une quelconque animalité,.

Non seulement c'est de la poésie mais c'est surtout un vibrant hommage à vous les ânes…C'est par ces mots qu'il conclut sa déclamation

Je me précipite sur la première partie de sa phrase trouvant dérangeant ce que suggère le reste. Et comme s'il avait pu lire dans mes pensées il rajoute :

Oui c'est de la poésie, de la meilleure, celle qui décorpore tout en simplicité et pourtant prometteuse de voyages, chacun le sien tant les aspirations divergent dans le prolongement d'un ver, d'une strophe, d'un sonnet, d'un quatrain… L'appel commun du beau qui envoie aussitôt l'être dans le corner qui lui est propre, au cœur de l'intimité. Une réminiscence, l'alchimie d'un vocable qui tilte dans le mille … le mixe de ce qui émotionne : en ce qui me concerne : l'âne et la poésie. J'ai tout fait pour vivre ici au côté de Francis James et pour l'endroit qui lui a permis de développer son amour pour toi et tes congénères. Je le crois sincère, d'un tel accent de vérité que j'ai fondu mes pas dans les siens, me contentant d'un emploi de conducteur de travaux moi qui pouvais ambitionner un emploi d'ingénieur dans les travaux publics. Et tu sais ma seule ambition est d'être être enterré à ses côté sous cette pierre tombale pour le suivre dans l'au-delà car je suis sûr, moi qui suis inversement croyant à sa foi, qu'il a réalisé son souhait poétique et qu'il s'ébroue parmi tes ancêtres.

Un braiment s'enraye d'émotion dans ma gorge. Heureusement, je ne dispose d'aucun vocabulaire qui aurait pu ternir le moment magique que je viens de vivre. Cet humaniste vient de me propulser à mille lieux de mes préoccupations. Rien n'aurait pu ternir le moment magique que je viens de vivre.

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