De l'imbécillité de changer d'apparence.

A défaut de ne plus avoir d'ennemis dans sa ligne de mire, Don qui rote d'un petit déjeuner copieux, lui qui se contente en principe d'un bouillon de gruau expédié vite fait dans la vessie sans vraiment passer par la case estomac, propose de continuer le chemin de Saint Jacques, histoire de digérer et de réfléchir, somnolant à demi sur une Rossinante trop contente de profiter de son pas de sénateur. Tout incite à la quiétude : le calme surprenant du chevalier , le lâcher-prise de sa monture et l'envie communicative de flâner viennet à bout de la méfiance conjuguée de l'écuyer et de Rossian qui s'abandonnent à l'humeur badine . Leurs faces sont éclairées par un soleil levant qui , par degré, réveille une nature impatiente de distiller ses trésors de couleurs qu'elle étale en un dernier baroud d'honneur, de quoi faire patienter ses admirateurs jusqu'à sa renaissance. Un printemps prometteur de spectacles somptueux.

Tout-à coup, le Don Chocotte tire sur les rênes de sa jument d'une manière si ferme que celle-ci croit ses molaires arrachées par le mors. Depuis quelques temps ils cheminent sur un faux-plat montant qui persiste à dérober son point culminant.

-Barrage à treize heures crie le chevalier errant, extirpé de sa torpeur.

Sancho essaie de hausser sa stature. Sans étriers, il est difficile se se hisser du col, afin d'envisager le danger que peut éventuellement apercevoir son maître qui le culmine au moins de deux mètres. Rien à l'horizon que des champs moissonnés sauf quelques carrés de pieds de maïs qui restent encore à couper. Au loin d'ailleurs, une machine agricole imposante et complexe accompagnée d'un camion-bêne entremêlent leurs vrombissements et mettent un terme aux gros travaux agricoles de l'année.

-Arrêtez-votre char dit Sancho goguenard à son maître, votre imagination vous joue encore des tours qui vous fait prendre d’inoffensifs tracteurs pour des engins maléfiques d'extraterrestres… Que voyez-vous cette fois-ci, des heaumes, des casques à pointe, des toques de procureur… ?

-Non des casquettes répond d'une voix hésitante le Don qui Ballotte entre les désirs du réel et la réalité de ses désirs, en découdre avec une armée de maures à la moralité non conforme aux principes de la chevalerie errante. Aussi a-t-il minutieusement vérifié comment étaient orientées les visières. Il n'y en avait aucune surmontant la nuque. Mauvais signe...marmonne t'il.

-Des casquettes, laissez-moi rire ! Vous ignorez tout de leur existence !

et de piquer les flancs de son âne qui n'en demande pas tant, s'ennuyant ferme depuis le matin. Il détale au galop, fier de montrer sa pointe de vitesse à la haridelle efflanquée que chevauche l'employeur pour s'arrêter saisi devant ce qui s'avère être un cordon de la guardia civile.

Calmement, Le Don le rejoint et du haut de sa monture le toise sans un mot. Son regard suffit pour que Sancho se tasse. Un policier regarde l'équipage de l'écuyer de haut en bas, fait le tour de leur duo puis s'éloigne pour deviser avec un de ses collègues en retrait.

Tu crois qu'ils correspondent au portrait robot ?

Y a de fortes chances !..L'allure générale des contrevenants, leurs dégaines... Attend, mais l'âne est censé avoir le poil roux d'après les témoignages. Or celui-ci est noir.

Noir comme du charbon, tu veux dire. Tu as déjà vu un âne aussi uniformément noir ?

Et les deux pandores de s'approcher de l'animal inquiet , l'inspectant sous toutes les coutures.

S'incrustent, sur les endroits où le poil se fait plus rare, des zones bleutées qui n'admettent aucun doute sur l'origine chimique du phénomène.

En attendant les analyses ADN des échantillons prélevés sur la lance, les gardes civiles emmènent tout ce beau monde, les humains en prison les autres dans une de leur écurie.